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mercredi 7 décembre 2011

Le 1er août 2011, non-da, ja mes, l’écrivain n’est en vacances.


OUVERT POUR RAISON
DE TRAVAIL CONTINUEL




Le 3 août 2011, quelques marginalia écrites en lisant Travail du poème d’Ivar Ch’Vavar aux éditions Les Vanneaux :

Le titre ouvre plusieurs problématiques avant même que d’ouvrir l’ouvrage : quel est l’agent actif de la proposition, le mot « travail » ou le mot « poème » ? Quelle relation entre les deux mots et ce qu’ils impliquent de réalité ? Le mot « poème » est-il un mot qui travaille ?... Faut-il entendre plutôt une interaction ? Comment entendre l’absence de déterminant devant le mot « travail » ? La force de la préposition est immense, elle multiplie les pistes : le poème serait le fruit du travail, ou le poème est ce qui travaille (torture l’esprit) (sous-entendu : du poète), ou bien encore : le poème travaille encore quand il est achevé (le poète, le lecteur). Expérience active ou expérience passive du poème (à écrire, écrit) ?

Épique tâche mentale de transformer le monde intérieur (abstrait) en poème concret : « Le poème, qu’on le considère comme cadre ou comme chant, est concret. » Tâche que de faire coïncider « espace poétique » et « monde mental », le poème est la révélation visible du jeu entre les deux : le poète travaille le jeu.

« Le recours aux formes est nécessaire. Il n’y a pas d’art, de poésie sans forme, sans cadre. » On approuve, mais Ivar Ch’Vavar nous plonge dans les abymes complexes de la contradiction, car plus haut est écrit : « La poésie peut se déployer ailleurs que dans le poème : peinture, musique, roman, cinéma. A-t-elle-même besoin d’un support ? Elle se déploie dans la rêverie, l’hallucination… ou la vie quotidienne ! On peut dire que la poésie est partout et que tout ce qui la porte est poème », assertion avec laquelle un désaccord est ici affirmé, quoi qu’en dise le bon air du temps qui voudrait faire de tous, des poètes… La poésie est un ensemble plein qui contient tout ce qui se fabrique, dans le langage, au nom revendiqué et assumé et artistique de poème.

Les poèmes justifiés d’Ivar Ch’Vavar sont l’expression d’un travail minutieux devenu spontané à force de minutie, la preuve par lui de la nécessité d’un cadre formel élaboré dans laquelle le poète peut développer, linéairement ou fragmentairement, son récit, sa rêverie… Ch’Vavar considère ses poèmes justifiés comme des tableaux musicaux.

« Quand j’écris un poème, c’est dans un état de concentration, et, à la fois, de confusion, extrême. »

Le poète travailleur, a contrario du poète inspiré, serait-il un sous-doué de la poésie ?



Intrusion digressive au cœur de ces notes : en feuilletant et relisant quelques pages des Rêveries d’un promeneur strasbourgeois de Jean-Paul Klée, le poète ne peut résister à l’envie de reproduire ce passage : « j’aime le coq-à-l’âne, cette broderie saut-ruisseau qui fait qu’on aborde tout sans conclure ni pesanteur, on ne traîne pas, on brise là, on fait l’entrechat, on sème l’allüsion par-ci par-là-bas, c’est un-e délice que d’entrevoir ou d’évoquer sans développer ni s’attarder, on va dans le pointillé, la courtoisie, le sinueux & l’imprévu, à chaque phrase il y a les cerises de la surprise & les grains de riz de l’Exquis… J’aime à l’infini cette grâce française qui dessine les vrais mouvements de l’âme & la fantaisie, les méandres dü sentiment & dü souvenir, tout ce flüx miniature qui arrime la langue & le cœur et qu’on ne lit pas dans les dissertations, les grosses théories à mourir d’ennui – j’aime La Fontaine & les Propos d’Alain, l’esprit de variété, un certain ton parisien très pur, très clair et très gracieux,… quelque chose comme d’une conversation qui n’en finirait plus mais que vous pourriez à tout instant arrêter ou continuer,… rien n’y compterait que l’oblique, l’allüsif, la demi-confidence & l’imprévu à la vitesse d’une truite « arc-en-ciel » qui vous ferait fondre le cœur à demi & parfois même, dans ses ravissants jeux de colibri, car il arrive que par l’allégresse de l’été votre bouche danse toute seule dans la brise qui bouscule l’Ici-bas, les robes des femmes, les fleurs & les drapeaux !... Quell-e vie !... »
Quoiqu’on pourrait ergoter sur certains passages (« cette grâce française qui dessine les vrais mouvements de l’âme »), le poète eût aimé signer ces lignes, ce bel hommage au coq-à-l’âne, dont il est féru et persuadé qu’il est le rythme de sa propre pensée et provoque l’élan du poème suivant :


DU COC À L’ASNE

Ni dérobade mais couture de broderie saute-ruisseau d’un décousu confus et sans discretion et labile et versatile de toutes choses confondues dans un tout issu des 5 sens qui changent tout et toujours et sans cesse et constamment que, veu le nombre de la variété des accidents, tout se dérobe et recommence autre-ailleurs à la minute et changent de sujet-direction dans des poèmes-minuties filés dans du bloc reliant entre eux, sur le sacro saint axe, pensées et perceptions non adjointes en apparoi, lait d’anesse et couilles de coq et taureau —



Travail du poème est un montage fatrasique, hétéroclite, composé d’articles, de poèmes commentés, de notes, de lettres, de préfaces, d’intermèdes, d’entretiens… Par quoi la pensée s’expose dans son désordonnancement, avec ses convictions profondes et ses contradictions, montrant une capacité de s’auto-régénérer dans le mouvement continuel de réfléchir à l’acte d’écrire et à ses raisons ; ce livre a été monté en état de crise poétique et morale : ce livre est  une crise.

Ivar Ch’Vavar remet en question son être-de-poème, séparant, malgré lui, dans ses interrogations, l’être du poème.

Le monde est langages, tout est Langage ; le poète crée un monde de Langages.

« C’est cela l’Inspiration : la langue a besoin de nous et nous aspire. Elle nous prend dans le souffle et nous donne le souffle, et (comme un gage) de quoi le peupler ». La majuscule de majesté au mot « inspiration » étonne… ; ne serait-il pas plus juste de nommer ce souffle « aspiration » ? Être happé par un souffle de réel ?


Le 5 août 2011, on demeure surpris et sceptique de ce qu’Ivar Ch’Vavar pose Rimbaud, Lautréamont et Mallarmé comme frontières ultimes de la modernité, il travaille après eux, avec eux ; ils représentent, à ses yeux, la fin de la poésie (quoi est d’un pessimisme profond, quasi nihiliste) ; trois poètes dont l’intérêt (paradoxal s’on considère le parti-pris du vers de Ch’Vavar) réside dans le renouvellement de la poésie par la prose, poème en prose ou chant en prose ou prose réflexive.


Nouvelle intrusion digressive au cœur de ces notes, mais l’urgence oblige à noter au cœur de ces notes ce qu’il faudra retenir : car : à propos du poème « Des mots outils » : aussi, vite, avant que de perdre l’autre fil : : : ledit poème sera présenté dans ses différentes strates, autrement dit du premier jet, très court sans doute, car il s’agira probablement de l’élan de l’attaque, vite stoppé, et on peut déjà poser qu’il en sera ainsi puisque le poète a décidé de la forme que prendra ce poème, en conséquence visuelle de quoi le poème sera progression de poème en ses imperfections et ratages, mais qui montrera, ce espère-t-il (le poète), la force montante, exponentielle et jouissive du travail d’écrire un poème.

Reprenons.

Crise d’un poète observant une crise de langage ; d’un poète travaillé par la poésie (« on ne s’aperçoit pas que mon travail a beaucoup à voir avec une ascèse » ::: crise religieuse ?...)

Inlassablement le poète travaille l’idée d’une forme.


Le 6 août 2011, écrire des poèmes pour « recommencer la poésie » : que Ch’Vavar appelle « travail de remise en route », ou travail de sape sur la mort (prétendue par lui) de la poésie ?

Tout poème est concret, quelle qu’en soit la teneur ; le mystère est que tout ce qui l’entoure, origine, destination, ambition, sens, lecteur, est abstrait.

Forcer la forme, jusque l’absurde, pour observer « le mystère du surgissement poétique ».

« Je veux rejeter ni le lyrisme, ni le “métaphysique”, ni l’image poétique… Je ne veux rien rejeter du tout. Il faut tout prendre. Même les trucs, disons rhétoriques, qui sont les secrets de fabrication. Ce que je repousse, c’est l’imposture : les “trucs”, quand ils veulent donner l’illusion de profondeur. On ne triche pas avec la profondeur. C’est le premier point de ma morale poétique. »

Crise d’identité face aux 111 hétéronymes dans le pseudonyme d’Ivar Ch’Vavar ; 111 autres épuiserait n’importe qui.


Le 7 août 2011, « Le poète est toujours aussi un technicien ! Il l’a toujours été. Soit il reprend et perfectionne la technique de ses prédécesseurs, soit il invente la sienne propre. Tout artiste est un technicien… » Soit. Ch’Vavar, dans ce livre, creuse et ressasse ses obsessions poétiques, se répète, et se contredit, afin d’éprouver ses convictions, comme si cela lui était nécessaire pour se renforcer. Un « horrible travailleur » de lui-même qui se métamorphose sous les yeux du lecteur en héautontimorouménos.

La poésie est un travail qui coûte.

La Grande Picardie Mentale que l’œuvre d’Ivar Ch’Vavar trace est une œuvre-monde.

Cette crise morale sienne que le poète relate (« Une crise poétique ») rappelle celle de Paul Valéry, la fameuse nuit du 4 au 5 octobre 1892.

Pseudonymie et hétéronymie pour lutter contre l’effusion lyrique, contre l’épanchement, pour se dérober à soi. Grand travailleur de la forme (le vers justifié + le vers arithmonyme), d’une forme pleine d’un lyrisme altératif ; un formaliste subjectif ? (Cadrer le personnel dans une forme rigide qui s’assouplit dans la pratique continuelle.)

Le 9 août 2011, se sacrifier pour son travail serait une forme de l’inspiration ? : « L’Inspiration n’est pas d’une seule sorte. Contrariée, elle se met au travail avec nous, et ce n’est pas un petit travail, on se bat sur chaque vers et sur chaque mot. Mais quelquefois, la “rage” emporte tout, elle réussit à se caler dans la contrainte en emportant tout, en nous entraînant bien loin de ce que nous aurions pu écrire la tête froide. […] sans doute parce qu’à ce moment-là le poète n’est plus dans sa tête, il ne se voit plus, ne s’appartient plus : il se renonce, ou si tu préfères il s’abandonne, voilà encore un sacrifice – âpre ? suave ? – en tout cas il est tout à son travail, ou il n’est plus là du tout, et c’est alors que le voile crève et qu’un bon coup de jus de réalité passe dans le poème, l’être du réel, ce que les mots, par définition, ne peuvent dire, – et alors ils l’ont dit. » Ce sacrifice dans le travail, pour raisonner de façon moderne, après les déicides philosophiques, et par mécréantise féroce, ne serait-il pas une concentration totale  de l’être-au-poème (à la tâche) ? Le poète quitte une réalité pour une autre sans couper avec la première et pour y revenir autre lourd du passé récent d’un passage dans une réalité intérieure, à chaque moment d’écriture.

Ivar Ch’Vavar se questionne sur son état permanent d’horrible possédé ; tourne longtemps autour de cette langue qu’il, qui lui, parle.

Le recours à la lecture chamanique (qu’il évoque longuement) peut laisser sceptique un lecteur matérialiste forcené et imprégné de culture occidentale, et persuadé que tout mystère réside dans le soi-humain, que l’être génère ses propres mystères. La poésie devient douteuse dès lors qu’elle repose sur une pratique cultuelle. Si religion poétique il y a, elle est celle du lien (ou du re-lien) à établir avec un état de langue intérieur. Conclusion : nous n’en avons pas fini de trucider tout dieu, de quelque religion dont il émane.

Ivar Ch’Vavar est-il un fou littéraire ?

Ce qui est attachant dans l’ouvrage d’Ivar Ch’Vavar est son essai désespéré de devenir Pierre Ivart.

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