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jeudi 19 janvier 2012

Le 17 septembre 2011, « Tout art suppose une méthode et une règle » (Noël-François de Wailly, Principes généraux et particuliers de la langue française, 1ère éd. en 1757). Les dernières considérations mèneront logiquement (comme s’il s’était dessiné dans la pensée pendant la progression d’icelles) au poème  « Des mots-outils », dont le poète s’attachera à montrer la progression d’écriture, la manière dont il obtient, souvent, un poème par amplification laborieuse ; le jeu sur les polices de caractères du produit final aura pour fonction de montrer le plaisir joyeux et dansant du poète au travail. Grâce à internet et au Bon usage de Grévisse, le poète peut établir une liste de mots-outils, grâce à quoi un va-et-vient des yeux montera peu à peu le poème comme ce va se voir ci-ensuite :


DES MOTS-OUTILS

Parce que sans ça, quoi

Parce que, néanmoins, sans ça, quoi, en définitive

Parce que, néanmoins, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, mais rien d’autre que rien

Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, mais et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout

Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout, ce qui revient à dire la même chose, variablement car,

Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout, ce qui revient à dire la même chose, variablement car, grâce à ça

Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout, ce qui revient à dire la même chose, variablement car, grâce à ça, toutes fois et quantes que cela chaut, art manœuvre

Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, en définitive, sinon rien, et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout, ce qui revient à dire la même chose, variablement car, grâce à ça, toutes fois et quantes que cela chaut toutes et quantes fois que possible, art manœuvre, plus que jamais, sans conteste, pour régler les imperfections 



Parce que néanmoins et malgré tout, sans ça, quoi, quoi en définitive, sinon rien, et rien d’autre que rien dans l’intention même de tout, ce qui revient à dire la même chose mais variablement car, grâce à ça, toutes et quantes fois que possible, art manœuvre, plus que jamais, sans conteste, pour régler au mieux les imperfections  



 Le 19 septembre 2011, le hasard dirigé des lectures mènent à une cascade d’autres réflexions qui abondent dans le sens des réflexions du poète sur le travail poétique. Feuilletant, en effet, de-ci de-là, il relit quelques pages du livre endquote d’Yves di Manno[1], dont il retient ceci :

«  Pour lui [Yves di Manno évoque Ezra Pound], la poésie comme les autres arts était avant tout affaire de métier (au sens artisanal du terme) et l’écrivain soucieux de s’y adonner avec quelque efficacité devait prioritairement apprendre à en maîtriser les outils – tâche qui va de soi dans l’esprit du public concernant la peinture ou la musique, par exemple, alors que le poète est censé s’en remettre à sa sublime, à sa divine inspiration[2]. Dans cette optique, Pound a préconisé un certain nombre d’exercices, et même une méthode de travail, afin que le poète ne se trouve pas démuni le jour où ledit esprit saint daigne le visiter, qu’il soit instinctivement en mesure, en vertu du travail antérieur, de trouver la forme idéale permettant le partage de son “illumination”. Celle-ci étant bien sûr nécessaire[3], mais NON suffisante à la réussite de l’œuvre achevée. »

Après quoi Yves di Manno pointe quoi relève de la méthode poundienne :

« Une lecture active (critique, concernée) de l’héritage littéraire national […] ; une fréquentation assidue des classiques au sens universel du terme […] ; l’écrivain doit parallèlement procéder au nettoyage du langage poétique, dans l’état où il le trouve à son arrivée […] ; la traduction fait intégralement partie du travail poétique ».

Yves di Manno concluant que

« au simple énoncé de ces données, on aura mesuré toute la distance qu’il y avait entre l’idée que Pound se faisait du poète – de la nature même de son travail – et celle qui prévalait, qui prévaut encore largement en France, sur les ruines de divers romantismes modernes. Le point central – celui que je voudrais mettre en avant, au seuil de cet essai – concerne bien sûr une conception éminemment concrète de la production poétique, privilégiant sa technique d’exécution et les outils nécessaires à son élaboration, aux dépens de son “sens” ou de ses diverses ambitions philosophiques, psychologiques, métaphysiques. Il s’agit bel et bien d’une approche formelle (mais non pas “formaliste”), mettant l’accent sur le métier plutôt que sur l’inspiration, sur la dimension matérielle du poème plutôt que sur la subjectivité de son créateur. Qui s’intéresse donc davantage aux courbes, aux surfaces de l’œuvre qu’à la personnalité prétendument profonde de son auteur. Et qui explique par ailleurs l’inlassable bataille pédagogique que devait livrer Pound, multipliant au fil des ans essais et manuels dans le but de hâter la réflexion de ses contemporains et de leur fournir les données qu’il estimait nécessaires, contre les académismes et les cécités de son temps. »

Il eût fallu recopier plusieurs pages de l’essai d’Yves di Manno, non point pour s’en servir comme béquilles à penser, mais pour ce que les lectures, les passages crayonnés, ont formé, et continuent de former, en la modifiant constamment, la pensée au sujet qui concerne le poète en ce moment ainsi qu’à tout moment d’écriture. « Il est certain en effet que les chefs d’œuvre coulent de source, mais cela n’arrive qu’après que la technique soit devenue chez l’écrivain une “seconde nature”. Celui-ci n’a plus besoin de penser à chaque détail, pas plus que Tilden n’a besoin de penser à la position de chacun de ses muscles quand il frappe une balle sur un court de tennis. La force, la direction du coup sont secondaires à l’intention principale et n’entament en rien l’unité du geste. » (Ezra Pound, A.B.C. de la lecture) Si le terme « illumination » peut valoir résistance chez le poète et ne peut lui seoir, qui préfère l’expression « humeur favorable », il s’entend de ce que le poème est une technique réussie, pour ce qu’elle est si parfaitement concordante avec le corps du poète qu’est mal-visible l’immense labeur qui est à l’origine. Le poète n’a de cesse de peaufiner la technique qu’il a trouvée en lui, laquelle est parfaitement destinée, il est convaincu de cela, à capter l’humeur favorable.


[1] Flammarion, 1999
[2] N’est-ce pas… ? On peut rêver, à l’instar des écoles d’art, à des écoles de littérature (avec une section Poésie) ?
[3] Ce qui est contestable ; décidément, difficile d’échapper à la vieille notion.

1 commentaire:

  1. Parce que sans ça quoi : l'effet boule de neige est fascinant. On pourrait en dire jusqu'à s'étouffer.
    f biger

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