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lundi 19 mars 2012


21 janvier 2012
Va-et-vient permanent entre le journal-brouillon-papier et le blog-brouillon-public, croisements et influences, dialogue, et non séparation des medias, et guerre entre eux (il y a tout sauf ceci : « Le choix n’est pas pour ou contre internet, c’est le net ou rien » d’Antoine Emaz, in Cuisine, livre numérique ; le « rien » ici brandi fait grand peur). Il n’est nullement question d’obéir à la pression du temps, mais d’opérer un échange entre deux medias qui devraient se compléter, non pas s’opposer, ce que nous trouvons dans l’un comme satisfaction nouvelle, nous ne l’avons pas dans l’autre, mais ce que dans l’autre nous avons comme plaisir ancien renouvelé, nous ne le trouvons pas dans l’un, les temps numériques et les amours papiers sont unissables, le poète refuse la politique du rejet, refuse la nostalgie. Aucune table rase. Le journal de travail du poète est un faux journal, c’est un journal raturé, retravaillé, nullement livré tel quel sur le blog aux yeux du cyberlecteur ; sans parler des ratures mentales qui opèrent pendant la saisie.

23 janvier 2012
Deux poèmes restent à écrire ; il importe de ne pas céder à la tentation de précipiter le terme de cet ensemble, de ne pas bâcler le travail, de maîtriser l’impatience qui est la pression du monde extérieur, de rester encore hors du temps, même si l’approche du terme est une excitante pression sur l’esprit. Le poète choisit d’entreprendre le poème « Du baroque et du maniÉrisme », deux éons littéraires qui auront exercé une influence sur sa manière d’accepter son sentiment pensé du monde. Comme il réfléchit à ce poème, une amorce d’attaque prend forme qui exprime sa réception des deux éons, en alternance ou entremêlés ; « tantôt l’un, tantôt l’autre, souvent ensemblement »[1]. La forme de son poème, en bloc, posé sur la page avec assurance et conviction et obstination d’une forme ferme et sûre d’elle, créativement contraignante, qui s’impose et ne souffre autre évidence, (« Le discours baroque asserte sans modaliser, il est catégorique et impératif. Il cherche l’efficace d’une parole qui entend à la fois persuader et convaincre », Gisèle Mathieu-Castellani), est baroque, forme qui contient toutes les incertitudes d’une pensée  émue et d’être, la mésassurance à l’égard de son propre écrire, la suspension interrogative[2], qui se manifeste au moyen d’une phrase fantaisiste et allant au caprice et à sauts et gambades, hésitante, heurtée (« Le discours maniériste ne cherche ni à convaincre, ni à émouvoir, il est sceptique, il dit le doute, l’incertitude, le suspens, et, comme le dit Odette de Mourgues, il manque de conviction. L’énoncé est questionnant, problématisant toute assertion. C’est que le sujet lui-même doute, il doute de posséder la Vérité, ne trouvant dans le monde qui l’entoure que de confuses images, il doute de lui-même et de son identité, toujours mal assurée », Mireille Mathieu-Castellani), saturée de figures ayant apparences ornementales, artificielles diraient d’aucuns[3] , or, maniériste. Le maniérisme (revendiqué) est coulé dans le baroque (revendiqué). Ce écrivant, il effectue des allers et des retours entre la prose pensive et son poème en cours d’écriture, cela provoque d’agréables excitations ; le réflexif et le créatif se transmettent à l’un et à l’autre une énergie de plaisir.


25 janvier 2012
La perspective néanmoins de l’achèvement fait naître doucement une excellente pression sur le poète ; une surexcitation agréable à recevoir. Mais revenons au travail en cours de réflexion. Le monde est une gigantesque bizarrrie complexe ; on ne peut le regarder qu’avec sombre étonnement et scepticisme appuyé, constater non pas son caractère changeant, mais insaisissable. Une vision poétique du monde est une mimesis de l’insaisissable fragmenté, une mimesis capricante, une mimesis raisonnée de l’irraison. L’imagination de la phrase du poème en bloc se veut essai de suivre cet insaisissable mouvement du monde au cœur duquel un être, parmi d’autres par milliards, raisonné, essaie de trouver une situation stable, formelle par sa volonté. L’indécis gouverne cet être-là, tel Etienne Durand (1585-1618) dans ses stances :

Nostre esprit n’est que vent, et comme un vent volage,
Ce qu’il nomme constance est un branle rétif :
Ce qu’il pense aujourd’huy demain n’est qu’un ombrage,
Le passé n’est plus rien, le futur un nuage,
Et ce qu’il tient présent il le sent fugitif.

Je pendrois volontiers mes légères pensées,
Mais desjà le pensant mon penser est changé,
Ce que je tiens m’eschappe, et les choses passées,
Tousjours par le présent se tiennent effacées,
Tant à ce changement mon esprit est rangé.

Cela est de l’éon.

Les différentes moutures du poème s’avèrent insatisfaisantes :

1ère mouture :

DU BAROQUE ET DU MANIÉRISME

Savez-vous pas que ni tantôt l’un, tantôt l’autre, ensemblement souvent, et selon le principe d’incertitude assurément énoncé dans un poème posé là, dans des sinuosités intérieures fantaisistes et capricantes et certes —


2ème mouture :

DU BAROQUE ET DU MANIÉRISME

Et rien ne dure en [la] vague pensée qui ne prescrit rien à certes que la certitude qui pose et qui pèse en bloc le poème là plein d’une incertaine figure fantaisiste et capricante qui ne sait quoi —


3ème mouture :

DU BAROQUE ET DU MANIÉRISME

Et rien ne dure en [la] vague pensée fantaisiste et capricante et sinueuse qui ne prescrit rien à certes autre que la certitude qui pose et qui pèse en bloc un poème là plein d’une incertaine figure qui ne sait quoi ferme —


Ces trois moutures ne pénètrent pas, pour cause de trop de brièveté, l’insaisissable bizarrrie sublunaire : il faut donc rallonger la phrase, la rendre insaisissable et pénétrante de complexité. Une insistance persiste, qui vient de sa connaissance des poésies baroque et maniériste : celles-ci en effet s’appuyaient sur des formes relativement longues, sur le  minimum du sonnet (Sponde, Chassignet), jusque l’élégie ou l’épopée (d’Aubigné), par quoi l’esprit pouvait s’enfoncer avec autant de légèreté que de gravité dans ses propres abysses à dessein d’en peindre alors les linéaments circonlocutoires. Il faut donc que le poète déploie son poème… Il regarde la troisième version sur son écran d’ordinateur, qu’il verse dans la quatrième, dans son carnet, mouvement de quoi va naître l’idée suivante au sujet de la longueur du poème (le poète rassemblant la force de ses connaissances en poésie dans le mouvement concentré du travail), issue de ses lectures de Jacques Roubaud : Écrire un sonnet en bloc. Décision est prise. Mais une autre chose le tarabuste dans le sens de l’insatisfaction, qui est l’adjectif qu’il vient de forger à propos du monde libéral, du rythme effréné du capitalisme croissant, qu’il veut mettre en contradiction avec l’idée qu’il se fait d’un monde rapiécé, fait de bouzigues, et qu’il veut glisser dans le poème à venir : « néo-libéralistutilitaire » ; il n’en est pas mécontent, mais insatisfait : il le veut plus précis, afin qu’il concentre sa vision pessimiste du monde. Vint alors le désir d’un nouvel hommage au Grand Maître de l’abstraction de quintessence verbale, le désir d’enfanter d’un « monstre linguistique » (Madeleine Lazard) de la sorte : « Il ne leurs a sufffis m’avoir ainsi lourdement morrambouzevezengouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé mon paouvre œil : d’abondant ilz m’ont defoncé le tabourin. » (Quart Livre) (Le chapitre contient pléthore de ces mots gigantaux).



DU BAROQUE ET DU MANIÉRISME


Et rien ne dure ferme en ma vague pensée fantaisiste et capricante et sinueuse et tarabuscotée sur le sujet de l’insaisissable bizarrrie sublunaire où tout semble en liaisons
fragmentées et à pièces décousues quoique régi par un rythme croissant constamment néo-commermarchanpitalelaylibéréalistipubilitaire dans sa course vers la fin non prévue mais prévisible malgré le développement durable et crainte par un esprit en refraictaire confusion se ressassant que le passé n’est plus rien, le futur un nuage nucléaire, et qui ne prescrit rien à certes que la certitude qui pose et pèse en bloc le poème, là, plein d’un doute ferme —


[1] « souvent ensemblement » ne figurait pas dans le carnet, cela fut rajouté au moment de la saisie.
[2] Il considère James Sacré comme le plus évident maniériste moderne.
[3] « Précisons-le dès l’abord, “l’ornement”,  n’est pas la fioriture, il n’est jamais gratuit, ni chez Montaigne, ni chez aucun des grands Maniéristes du siècle. L’œuvre maniériste est saturée de sens, pénétrée d’intentions et d’allusions à déchiffrer, figurées par de multiples symboles, des plus érudits aux plus quotidiens, que matérialisent les “ornements” » (Géralde Nakam, « La “maniera” de Montaigne : quelques traits, et leur sens » in revue  Epistémè n°9

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