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mardi 28 février 2012

Suite à une critique justifiée qui lui fut adressée, le poète décida de récrire ses publications sur le blog des 13 et 16 février, afin de resserrer une pensée un peu en désordre. Le lecteur pourra faire comparaison, s'il le souhaite.

5 janvier 2012
« Pour ce que le ris est le propre de l’homme », cuidait Rabelais (note : il arrive mainte fois au poète d’user du médiévisme « cuidier », disparu des dictionnaires de langue française au XVIe siècle, et que les lecteurs de textes anciens et philologues connaissent bien pour ce qu’il abondait dans le sens de « penser, croire », mais aussi « s’imaginer », avec souvent la nuance « à tort », « cuidier » pouvait immiscer la possibilité d’erreur dans ce que pouvait penser celui qui pensait que). Bon. Si le poète a recours à la bouffonesque et au grotesque (au sens de bizarrrie folle, lexicale et grammaticale), il n’est cependant pas un poète comique (au sens historique et littéraire du terme), sa poésie est pince-sans-rire, recherche de discrets effets d’humour, à dessein non pas de faire rire, mais sourire. Son sourire est un rire atténué (un sub-ridere), discret, sans éclat de voix. Le pseudo-rire de Rabelais est beaucoup trop référencé pour ne provoquer qu’un simple éclat de rire, sans articulation d’une pensée ; il provoque un sourire accentué, parce qu’il « se joue de l’Univers » (Madame de Staël), mais c’est un rire intérieur, plus proche du sourire, que le rire franc, extérieur ; on l’appelle rire par défaut. Dans la littérature, l’humour advient le plus souvent dans des jeux de langage, le rire, dans des jeux de situation (Molière). Dans ses jeux verbaux, le poète glisse de l’humour, lance un rire atténué dans le déroulement syntaxique qu’il observe comme un processus parallèle du vivant tiré vers la mort,  inexorablement. Aussi menuise-t-il l’illusion de ralentir le processus par quelques court-circuitages ; et ça le fait sourire ; sourire devant l’idée vaine de l’entreprise, et à l’idée anticipée des reproches de complexité exagérée, ampoulée, emphatique, artificielle, prétentieuse sinon creuse, qui lui seront adressés, défauts que son goût pour le mauvais goût l’amène à revendiquer.



6 janvier 2012
Il rumine,  l’idée : : : d’un poème copié-collé (conscient que le procédé n’est point nouveau de même qu’il n’est guère de procédés nouveaux aux jours d’huy de la poésie contemporaine où les idées et principes et procédés sont copiés et recopiés et sur-copiés sans interruption), l’idée d’un poème qui serait la reprise d’une critique meurtrière dont il fut la cible, par un critique internet, idée à laquelle il renonce aussi vite qu’il l’expose, estimant que cela, même cum grano salis, aurait quelque apparence de masochisme, et accorderait trop d’importance à un petit « capitan des lettres » (la formule est empruntée à un critique du critique) se désignant « lectueur ». Quoique cela soit très tentant, il faut renoncer. Après déambulations dans sa bibliothèque, il ajoute deux citations, de Pascal : « rire dans l’âme », et d’André Breton, « une révolte supérieure de l’esprit » (à propos de l’humour noir), ainsi qu’une troisième, de Pierre Desproges, « on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Le poète va opérer un mix de tout cela.


7 janvier 2012
Il pensait avoir achevé le poème « De l’humour », mais revenant à la liste des poèmes à écrire pour biffer « de l’humour », il retrouve une note ajoutée (entre parenthèses) dans la crainte d’oublier d’y faire, dans le  poème, référence :

« (jeux de mots/jeux de vilain/rire dans la langue/Merlin) »

C’est la raison pour laquelle, sans hésiter plus longtemps, il décide de reprendre le poème afin de glisser les allusions référentielles oubliées, et plus particulièrement à Merlin. Merlin rit devant la mort, qu’il défie lors de ses prophéties, il l’annonce, la sait, la devance, la connaît (il est né sous ses auspices, puisque sa mère, incapable, nonne et vierge, de justifier son enfantement, sera brûlée vive après sa naissance), c’est la part maligne de lui qui creuse dans sa bonté de mi-humain ; c’est un rire mélancolique, car Merlin sera habité par la mort des autres, et de surcroît, il rit de la sienne, du rire sarcastique de l’ermite ; un rire repris dans le rire du personnage de Zarathoustra de Nietzsche, de celui qui regarde les choses de haut, parce qu’il en connaît origine et destinée ; le rire de Merlin est force qui traverse les temps ; est rire dans la langue ; « Si Merlin rit, c'est donc parce qu'il incarne le personnage de l'écrivain à l'intérieur de son œuvre : observateur privilégié de tous les aspects de celle-ci. S'il rit de la mort, c'est parce que les procédés de la fiction, ainsi que ceux du fétichisme et de toute pensée théorique dont ils constituent le modèle, risquent de dévoiler le caractère accidentel de la différence qui existe non seulement entre le Moi et l'Autre, mais aussi entre le dedans et le dehors, la chose et sa représentation, l'esprit et la lettre — et, finalement, de la différence entre la vie et la mort. » (Howard Bloch) Le personnage de Merlin est insaisissable, ermite et cultivé, pacifiste et belliqueux, mi-homme mi-diable, c’est un être indéfini qui manie la subtilité langagière (cf. l’épisode du « Baron aux trois morts »), de même qu’il sait sa mort quand il répond favorablement à la requête de Niniane de lui apprendre ses pouvoirs (et dans certaines versions du roman, il rit avant que de lui répondre) ; c’est le rire d’un être insaisissable (jusque dans les diverses adaptations ou exégèses), qui change constamment de « semblance », « cest gens qui me cuident connoistrene sevent riens de mon estre » (Huth Merlin) Le rire de Merlin, que le poète reprend à son compte, est un rire lancé dans le futur de la phrase en bloc, il exprime le plaisir de tailler dans le lard syntaxique, à dégrammatiser, à néologiser, à poser des mots d’esprit ici ou là, ou des chausse-trappes syntaxiques, à forcer l’illusion de résistance à l’inexorable, à être critique de la norme, le rire de Merlin est exemplaire du travail du poète, un phénomène liminal (H. Bloch), « au point précis où le sens est produit à partir du non-sens » (J.Lacan), mais atténué par la vanité de l’entreprise ; sourire dissimule désillusion. Le poète, un être indéfini qui manie la subtilité langagière ?  Le rire de Merlin, un rire atténué par la subtilité narrative du cycle qui trace son existence indéfinie, par le temps humain et romanesque, un sourire devenu ?


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