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lundi 12 mars 2012

18 janvier 2012
Restent trois poèmes à écrire, et le contrat du poète sera rempli ; un contrat à poèmes déterminés (20). Le contrat aura été la contrainte. Son regard fait un arrêt prolongé sur « De l’ancien et du moyen français » ; la concentration a la vertu de provoquer un souvenir :

Il est, en tant que poète, devant un parterre d’enseignants en formation et doit répondre à une salve de questions à propos de son écriture et à propos de la poésie contemporaine quand dans la salve une remarque fuse : il y a un mot bizarre dans l’un de vos poèmes, est-ce que c’est une coquille, ce mot c’est « nel », dans « je nel sais ». Ce n’est nullement une coquille, répond le poète, c’est un médiévisme que je me suis accordé, comme souventes fois jel fais, surenchérit-il, en effet, en ancien français, le pronom personnel est constitué d’une forme atone (je, me, tu, te etc.) et d’une forme tonique (moi, toi etc.) Les formes atones parfois s’appuient sur le mot qui le précède et se constitue en contraction avec lui : « je nel sais » est « je ne LE sais », et, cela reprenant, et faisant, je les pense comme des archaïsmes désarchaïsés puisque ça se passe dans le mouvement vivant de ma langue, et comme des rappels philologiques glissés dans le poème. Je suis un grand lecteur d’œuvres courant du IXe siècle au mi-XVIIe siècle, dans les langues et graphies originales autant que possible, et ces insertions diachroniques sont les marques de mon goût, mêmement, et prononcé, pour ces œuvres et langues du passé et mon souci d’explorer l’histoire de la langue, j’arpente poétiquement l’histoire de la langue française, conclura-t-il.

Ce qui le met en appétit, et curiosité, et éveil, et alerte, et joie… C’est une manière d’être dans l’infini de la langue. Une fois qu’il est poète, il se transforme en être-de-langue. (Et en Merlin atténué.) Le poète ne peut se soumettre à la fixation de la langue française, ne peut suivre l’ordre naturel et imposé et codifié (par conséquence non naturel) des mots selon la théorie cartésienne du signe qui prétend que la pensée tend à la clarté du SVC, sujet-verbe-complément ; le poème répond poétiquement, négativement et rétivement à cela, conteste ce principe qui est un principe de pouvoir et d’autorité et ne correspond nullement au contact sensible avec le réel, qui ne repose pas sur la logique. Le poète pense en suivant son rythme du coq-à-l’âne ; les cinq sens modifient constamment sa perception de la réalité et la marche de sa pensée enfoncée dans celle-ci, sa pensée est souvent une fatrasie ; tout est discontinué. Ses poèmes sont une danse macabre, et un dense vivant ; ils font danser mots morts, expressions mortes, tournures mortes, graphies mortes ; il souhaite à la langue française une luxuriance baroque par réinventions constantes ou inventions héritées de « la fécondité des grandes périodes d’effleuraison lexicale » (Bernard Cerquiglini) et graphiques ; outre qu’il se délecte du français d’« avant la faute » (B.C.), il contient difficilement son plaisir à mâcher de la langue afin de s’emplir l’être de volupté intemporelle.


20 janvier 2012
Ce ne sera faute d’être répétitif et ressassant, mais la question de la langue hante les poèmes du poète, qu’il montre comme des effets[1] de langue destinés à attirer l’attention sur cette hantise non déplaisante. Ses poèmes sont des paons, qui montrent ostensiblement ce qu’ils sont, ils paradent (macabrement, nous l’avons dit), exposent leurs ocelles. Le poète s’est acheté L’amour du français, contre les puristes et autres censeurs de la langue d’Alain Rey, une défense joyeuse de la langue contre les diafoirus de la langue française, ceux que le poète appelle les fixistes ; il aime et cultive l’idée d’une foison baroque de la labilité incertaine et mouvante et gourmande de la langue française, goûte ce que les écrivains ont contribué qu’elle fût (et demeure) grotesque, burlesque, précieuse, galante, libertine, comique et autres transformations et déformations et reformations, exagérations, amplifications et moyens détournés de la rendre attirante, et non point austère, par là, c’est sa participation modeste à la joyeuseté verbale du français ; il recourt à l’uberté de la langue (« Au surplus non seulement le Poète, mais l’Orateur élégant, dira tousjours mesme chose en divers lieux, s’il peut, par trente divers mots & diverses manières de parler, il sçaura toucher & animer ses orgues à divers tuyaux : tant il recognoist la tautologie importune : & tant il sçait que l’uberté & la variété, sont ornemens necessaires de son langage, & lenitifs propres à flatter & endormir l’ennuy de ses auditeurs », Marie Le Jars de Gournay, Les advis, ou les presens de la demoiselle de Gournay, 1634/// ubertas, atis, f. (latin) : puissance de produire, nature riche, féconde ; abondance produite, abondance, richesse). Les poèmes du poète constituent le bâtiment de son être : son complexe abondant, incertain, fragile et complexe. Ainsi, le poème « De l’ancien et du moyen français » ne célèbrera rien d’autre, et comme tous les autres poèmes, la langue libre, libre essentiellement de signification immédiate, jamais inféodée au goût du lecteur, à sa dictature du lisible et du compréhensible et du plaisir immédiat (le poète travaille le plaisir différé). Il se fait plaisir en implosant de joie la langue, EN DÉPIT DU BON SENS (« C’est une brutalité caractéristique de ma part qui a sa cause dans mon être d’une totale complication mais qui vise constamment à la simplification, ce qui l’en éloigne de plus en plus et à des distances de plus en plus grandes… », Thomas Bernhard).




DE L’ANCIEN ET DU MOYEN FRANÇAIS

Lors alors, hé, l’ancien et le moyen de Crestiiens et d’Alcofribas, ensuivis de maint moult autres inserviles auctorités des temps jadis, déréformèrent et décodèrent, en l’enconnant et en la déconnant, miss Frigide et son code de la langue, à en faire rougir le correcteur word, et laquelle en redemandada d’autant d’impertinence joyeuse et dégraphia son corset morphologique, libéra luxuriance et dévoila sa grande métisserie, ce fut, c’était, c’est, ce sera, quand la langue se métamorphose en Langue, ni pure, ni soumise


[1] L’accentuation typographique est destinée aux esprits chagrins qui dénoncent tout ce qui relève de l’effet de style ou de rhétorique, de l’exagération de langue, voire de l’auto-langue, en poésie, où le poème ne doit être, à les en croire, qu’émotion brute, avec coupure entre « le cœur et le cerveau » (mais le cerveau écrit, le cœur pompe).

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